En prenant de la hauteur dans la région de Nazca au Pérou, des formes se dessinent sous nos yeux : un colibri, une araignée, un condor et même un astronaute semblent ancrés dans le sol. Ces célèbres motifs fascinent depuis des décennies et soulèvent de nombreuses questions : à quoi servaient-ils ? Comment ont-ils été élaborés ? Comment ont-ils traversé les siècles ? Martial Caroff nous emmène en Amérique Latine pour tenter de percer le mystère des géoglyphes.
« Géoglyphes » est un terme qui désigne un ensemble de motifs de grande taille tracés au sol et seulement visibles d’une grande hauteur. Le premier à avoir étudié ceux de Nazca, en 1926, fut un archéologue péruvien. Mais il ne put les voir que partiellement, des collines avoisinantes. Il fallut attendre la fin des années 1930 et l’essor de l’aviation pour prendre enfin conscience que le sable du désert cachait bien autre chose qu’un antique système d’irrigation, comme on le croyait jusqu’alors. Un ensemble de lignes parallèles ou entrecroisées, de figures géométriques et de représentations d’animaux plus ou moins fabuleux se dévoila dès lors dans toute sa complexité.
L’hypothèse d’une gigantesque représentation astronomique jaillit rapidement. Cette idée fut ensuite reprise par l’archéologue Maria Reiche (1903-1998), qui a consacré l’essentiel de sa longue existence à l’étude des géoglyphes de Nazca. Selon elle, la disposition des lignes pourrait former un calendrier astronomique, permettant de mettre en évidence certains phénomènes comme les solstices. Elle a vu la constellation d’Orion dans la figure de « l’araignée » et la Grande Ourse dans la représentation du « singe » à queue en spirale. D’autres théories font appel à des rituels chamaniques. Un historien a même proposé dans les années 1980 que les lignes en zigzags présentes dans certains secteurs auraient servi d’aires de tissage pour la fabrication d’étoffes mortuaires. Et peut-être que le mystérieux « astronaute » est un homme qui prie les dieux de faire pleuvoir sur la terre desséchée de Nazca ? Qui sait ?
À ce stade, deux interrogations surgissent naturellement. Quelle a été la technique utilisée pour élaborer les géoglyphes ? Comment ces fragiles structures ont-elles pu traverser les siècles sans encombre ?
Pour répondre à la première question, il convient de s’intéresser à la nature du terrain qui a servi de toile aux anciens artistes. La couche superficielle du désert de Nazca est formée d’un sédiment fin cimenté par du gypse et du sel gemme. Cet ensemble de couleur gris clair est recouvert de blocs et de graviers brunis par des oxydes de fer. Les lignes ont été tracées simplement en déplaçant les pierres rougeâtres afin de faire apparaître le substratum clair. Pour réaliser ces figures complexes de grande taille, sans avoir la possibilité de contrôler l’avancée de leur travail — à moins d’envisager, comme certains n’ont pas hésité à le faire, l’utilisation d’aérostats —, les Nazcas se sont vraisemblablement servis de la technique de carroyage. Celle-ci consiste à quadriller le sol dans le but d’y reproduire un dessin, carré après carré.
Plusieurs réponses s’offrent à la seconde question. La conservation des géoglyphes à travers les siècles est en effet due à une combinaison de facteurs : le climat aride et peu venté, l’absence de végétation, la présence de gypse, qui tend à fixer le sable au sol et, enfin, la faible densité des populations qui se sont succédé sur la zone au cours des siècles.
De simples cailloux poussés sur le côté, un peu de gypse qui tient la poussière, un coup d’aile pour prendre de l’altitude et nous voilà en train de survoler l’âme d’un peuple, qui jamais ne disparaîtra complètement…
Visuel haut de page : Vue aérienne de « l’astronaute » – Nazca-5, Corey Spruit, 30 août 2009.
Source : Terres singulières de Martial Caroff , paru aux éditions Quæ