Avez-vous déjà été confronté au refus d’un enfant de goûter un nouvel aliment ? Ce phénomène, que l’on appelle néophobie alimentaire semble être un passage obligé.
Globalement, tous les enfants vont manifester de la néophobie vis-à-vis d’aliments à l’odeur prononcée comme par exemple les légumes, avec, il est vrai, une expression et une intensité variables. « La néophobie est donc un passage obligé », observe Natalie Rigal. En 1994, la psychologue française Liliane Hanse a mené une étude1 sur ce sujet. Pour ce faire, elle a adressé un questionnaire à 600 mères d’enfants âgés de deux à dix ans afin d’observer quels étaient les changements de comportements alimentaires de leur enfant au cours du temps. Elle a pu ainsi montrer que 77 % des enfants sont néophobes alors que 23 % le sont peu. Ce travail lui a permis également de définir trois niveaux de néophobie alimentaire. Le niveau 1 regroupe 39 % d’enfants qui demandent à goûter un plat avant de le consommer ; cette néophobie est dite « flexible ». Le niveau 2 concerne 32 % d’enfants qui doivent être fortement incités à essayer de nouveaux aliments ; cette forme de néophobie est qualifiée de « rigide ». Enfin, le niveau 3 ne touche que 6 % d’enfants qui refusent catégoriquement tout aliment nouveau ; les spécialistes parlent alors de néophobie « pathologique ».
La néophobie alimentaire peut apparaître à propos d’un changement anodin – du moins aux yeux des parents –, comme par exemple le fait d’associer un peu de persil à une purée de carottes ou d’ajouter un soupçon de crème dans un aliment connu et qui va donner à celui-ci une couleur plus claire. Des frites de forme différente de celles qu’il a l’habitude de manger risquent également de perturber un enfant. « L’enfant n’ayant pas encore une vision analytique, il va percevoir l’aliment qui lui est proposé dans sa globalité et, en l’occurrence, pour la purée de carottes, ne pas reconnaître l’aliment qu’il a l’habitude de manger, d’où sa méfiance », indique Sandrine Monnery Patris (2013), dont les travaux menés au sein du CSGA de Dijon portent sur l’étude des déterminants des comportements alimentaires chez l’enfant. Aussi faut-il privilégier le choix d’aliments simples au début de la diversification et éviter les mélanges afin que l’enfant découvre progressivement ce qu’il mange et apprenne à reconnaître chaque ingrédient. « Plus cela sera simple au départ et plus il sera facile pour lui de mémoriser l’aliment qui lui est présenté », observe-t-elle. Une mémorisation qui sera encore facilitée si l’enfant est accompagné dans son repas, le fait de manger devant lui, avec lui, dans un contexte psycho-affectif, le rassurant. « Apprendre à manger à table, assis, avec d’autres, pendant un temps donné, suffisamment long, est un élément qui aide à avoir un comportement alimentaire bien régulé. Le repas a un début et une fin : faim, rassasiement et satiété se déroulent bien », a écrit le médecin nutritionniste de l’institut Pasteur de Lille Jean-Michel Lecerf dans son ouvrage À chacun son vrai poids : la santé avant tout (2013). Enfin, l’exposition répétée à un aliment et la familiarisation avec celui-ci achèveront de convaincre l’enfant réticent – mais sans le forcer, cela va de soi.
Longtemps ignorée à une époque où la nutrition avait pour principal objectif de lutter contre les problèmes de rachitisme ou encore de croissance osseuse, en particulier en administrant quotidiennement à chaque enfant la trop fameuse huile de foie de morue, riche en vitamines A et D, la néophobie alimentaire intéresse beaucoup la recherche aujourd’hui et fait l’objet de multiples travaux. On y associe souvent le « trouble de l’alimentation sélective et évitante », désormais référencé sous le sigle ARFID (Avoidant Restrictive Food Intake Disorder), qui consiste à ne manger qu’une gamme très limitée d’aliments, leur sélection s’effectuant par exemple sur des critères de couleur ou de forme choisis par l’enfant. Observé communément chez des enfants dits « difficiles » âgés de moins cinq ans, ce phénomène peut néanmoins persister chez certains parfois jusqu’à l’adolescence. Comprendre pourquoi un enfant dispose d’un répertoire alimentaire très limité, dans l’impossibilité de couvrir ses besoins nutritionnels, est donc une question majeure à laquelle les chercheurs tentent d’apporter des réponses plus précises. La pauvreté de ce répertoire peut en effet conduire à la malnutrition, à des problèmes de croissance, de prise de poids et à des retards dans le développement plus global d’un enfant.
1Hanse, 1994
Source : L’alimentation des enfants racontée aux parents de Jean-François Desessard, avec Sophie Nicklaus, paru aux éditions Quæ