La robotisation croissante de notre société menace-t-elle nos emplois ? Vaste question à laquelle il semble encore bien difficile de répondre. Néanmoins, plusieurs signes ont de quoi inquiéter. Quelques exemples de robots ayant déjà intégré le monde du travail.
Prenons tout d’abord le secteur où les robots sont les plus nombreux et depuis longtemps : l’industrie. Aujourd’hui, sur certaines chaînes de montage, le rôle de l’homme ne consiste plus qu’à les surveiller, assurer leur maintenance et intervenir en cas de panne. Dans une même usine, la fabrication de voitures peut impliquer près de mille robots ! Rien que dans les usines françaises, ils seraient déjà plusieurs dizaines de milliers. Face aux quatre millions d’emplois que leurs promoteurs prédisent entre 2012 et 2020, combien la robotique industrielle en a-t-elle supprimé ?
Cette robotisation de la société touche aussi de plein fouet d’autres métiers peu valorisés et répétitifs : agents de caisse dans les supermarchés peu à peu remplacés par des caisses automatiques, employés de call centers par des agents conversationnels (chatbots), etc. Et qui sait, avec l’avènement des voitures autonomes, les taxis pourraient aussi rapidement être relégués dans la catégorie « ces métiers du passé ». D’ores et déjà, il se murmure que la société Uber lorgne de près les développements en la matière, elle qui doit faire face à la grogne de ses chauffeurs outrés par le montant de la commission qu’elle ponctionne. Et plus largement qu’adviendra-t-il dans un monde où tous les véhicules seraient autonomes, sachant que le métier de chauffeur est le plus répandu dans certains pays (par exemple quatre millions d’actifs rien qu’aux États-Unis) ?
Les métiers en col blanc aussi en ligne de mire
Mais les métiers plus « intellectuels » sont eux aussi dans le viseur des robots. Parmi eux, celui de votre serviteur en train d’écrire ces lignes : journaliste. Associated Press, Forbes, Los Angeles Times… Dans plus en plus de rédactions, des « robots-journalistes » sont déjà à l’oeuvre. Il s’agit en fait de robots informatiques capables de rédiger automatiquement de courts articles. Plus précisément, ils peuvent convertir en courts textes au style journalistique des chiffres et des données sportives, économiques, d’un événement… C’est ainsi qu’en 2014, seulement trois minutes après une secousse sismique survenue au large de la Californie, un article rédigé par un robot a été automatiquement généré par un algorithme sur le site du Los Angeles Times. Sur la base de données brutes fournies par le service américain d’enquête géologique, le court texte fournissait aux lecteurs différentes informations utiles sur l’événement : magnitude, épicentre, heure, comparaison avec d’autres secousses récentes, etc. Des logiciels comme Quill sont aussi déjà capables de rédiger des articles financiers et des comptes rendus de matchs. Selon les concepteurs de ce type d’algorithmes, ces robots-journalistes ne supprimeraient aucun emploi. Pour l’instant peut-être car ils sont encore réduits à l’écriture de très courts textes sur des données très factuelles. Mais demain quand ils seront plus perfectionnés ? Vu l’état déjà dégradé de l’emploi et des finances dans la presse, les journalistes ont quand même du souci à se faire ! Et d’ores et déjà, certains robots sont capables de rédiger des textes beaucoup plus longs. Exemple emblématique ? L’algorithme Lsjbot qui aurait déjà créé plus de deux millions d’articles dans le format requis par l’encyclopédie collaborative Wikipédia, au rythme de 10 000 par jour !
Profession hautement qualifiée à laquelle la robotique n’hésite pas non plus à s’attaquer : les avocats ! Répondant aux doux noms de Ross, LiZa ou bien encore Peter, ces programmes d’intelligence artificielle ont déjà fait leur entrée dans de nombreux cabinets outre-Atlantique. On a même créé un nouveau terme pour cette catégorie de « robots-juristes » : les legalbots. Leur principale fonction consiste aujourd’hui à explorer des milliers de documents à la recherche de cas de jurisprudence, dans le cadre de la préparation d’une affaire, et à rédiger des actes juridiques basiques. Des tâches chronophages ingrates et répétitives jusqu’ici dévolues aux jeunes recrues ou aux stagiaires. D’autres legalbots tel Kira peuvent très rapidement scanner des contrats et y dénicher des passages problématiques. Les promoteurs de ces legalbots arguent qu’ils vont permettre aux avocats de se concentrer sur des tâches plus nobles : écoute du client, plaidoiries… Sans doute, mais peut-on vraiment croire qu’ils n’affecteront pas l’emploi dans les petits cabinets d’avocats ? Et si ce métier peut s’en sortir, c’est moins sûr pour ceux d’assistant juridique ou d’analyste junior qui seront de moins en moins nécessaires. En attendant, d’autres « professions de bureau » sont déjà clairement impactées. Récemment, une société évoluant dans le domaine de l’assurance — Fukoku Mutual Insurance — a annoncé le remplacement de 25 % du personnel d’un de ses services, soit 34 personnes, par le logiciel d’intelligence artificielle Watson d’IBM. Ce dernier assurera leurs multiples tâches : rassembler les données médicales des clients, lire les certificats rédigés par les médecins et autres documents médicaux pour déterminer les paiements d’assurance, et facturer. Last but not least, les métiers de la comptabilité, de la banque et de la finance sont eux aussi touchés avec des algorithmes de trading à haute fréquence beaucoup plus rapides, et des programmes automatiques pour la saisie de données comptables. On le voit, l’intelligence artificielle et les softbots (robots-logiciels) bouleversent fortement ces différents métiers hautement qualifiés.
Source : Le temps des robots est-il venu ? de Jean-Philippe Braly, avec Jean-Gabriel Ganascia, paru aux éditions Quæ