L’herpétologiste américain K.R. Porter a dit un jour qu’à peu près n’importe quel animal peut dévorer un amphibien. Habiter dans un environnement d’une telle hostilité, qu’elle vienne de sa propre espèce, de la multitude des autres espèces prédatrices ou encore de parasites, mais aussi d’espèces compétitrices, contraignantes pour les conditions de vie, suppose une véritable lutte pour survivre et tout un panel d’adaptations !
Le groupe des amphibiens a développé différentes stratégies pour échapper à ses prédateurs. Dans une mare, pour les têtards d’anoures et les larves d’urodèles face aux prédateurs (qu’il s’agisse de poissons ou d’invertébrés), la nage apparaît très souvent comme la seule solution. S’échapper dépend de la vitesse, des possibilités d’accélération et de changement rapide de direction, mais non de l’endurance, car les poissons sont de redoutables « sprinters ». Cela pourrait expliquer les autres tactiques et stratégies d’évitement des prédateurs.
Autre stratégie, beaucoup de larves d’amphibiens contiennent des substances chimiques, toxiques ou seulement au goût aversif, contre les poissons, voire les congénères de plus grande taille (salamandres et tritons). L’efficacité de cette stratégie dépend de l’aptitude du prédateur à goûter la proie et reste inefficace contre beaucoup d’insectes prédateurs (odonates, coléoptères de la famille des dytiscidés). Ainsi, les petits têtards de crapaud commun sont toxiques et immangeables pour les poissons ; on les dit « non palatables », mais ils restent un mets apprécié des insectes prédateurs ! Une autre manière de déjouer l’attaque des prédateurs chez les têtards et larves d’urodèles est de modifier son comportement et se cacher.
De nombreuses espèces utilisent comme zones de refuge les tapis denses de characées et autres végétations aquatiques, d’autres réduisent ou modifient leurs rythmes d’activité alimentaire. Le camouflage et l’immobilité permettent aussi d’échapper à la prédation.
Enfin, certains têtards, notamment ceux du crapaud commun, se déplacent en banc à l’image des poissons, mimant ainsi un étrange animal plus gros… Quelles que soient les tactiques adoptées pour survivre, des signaux chimiques et tactiles sont utilisés pour détecter les prédateurs. Les productions chimiques émises par les poissons entraînent une réponse d’évitement chez les têtards. Par ailleurs, les déplacements d’éventuels prédateurs entraînent des ondes captées par la ligne latérale des larves d’urodèles et des têtards. Une tout autre solution relève de mécanismes physiologiques. Il s’agit pour les larves soit d’augmenter leur taille afin de limiter la prédation, soit de se développer le plus rapidement possible en diminuant le temps passé dans le milieu aquatique où se trouvent les prédateurs.
Même pour un amphibien devenu adulte, survivre nécessite beaucoup de ressources. Les réactions de défense des amphibiens adultes sont provoquées par la perception visuelle, auditive, tactile et même chimique d’un prédateur à une certaine distance. Face au danger, comme de nombreux autres animaux, ils pratiquent l’immobilisme et la fuite, mais ils ont aussi développé différents moyens de défense qui leur sont plus spécifiques. À la vue d’une immense ombre ou à la survenue d’un bruit soudain, la plupart des anoures terrestres s’aplatissent et demeurent immobiles, « font le mort » en fermant les yeux, comme des enfants qui jouent à cache-cache ! Certains se fondent dans l’environnement grâce à une livrée homochrome verte ou marron, ou présentent des teintes ou des dessins imitant des champignons ou la forme lancéolée de feuilles mortes… Mais cette immobilité peut être accompagnée d’un drôle de comportement ou de couleurs vives aposématiques. Des salamandres de la famille des salamandridés ou de celle des pléthodontidés relèvent la queue ou l’entortillent autour de leur corps. Chez les anoures, les sonneurs à ventre de feu ou à ventre jaune se cambrent et lèvent les pattes au ciel, voire se retournent totalement sur le dos, découvrant leur face ventrale jaune et noire !
La fuite sera la solution pour les espèces agiles et rapides qui s’enfuient dans le plus proche fourré ou plongent dans l’eau. À terre, ces individus alterneront leur fuite d’arrêts pouvant tromper un prédateur qui a tendance à suivre la course de l’animal… Certains urodèles pratiquent l’autotomie caudale : ils laissent sur terre, en fuyant, un bout mobile de leur queue. Enfin, s’il est trop tard, le seul recours peut être d’affronter l’ennemi ! Ceux qui osent le faire n’attaquent pas mais se défendent à l’aide de leurs glandes à venin cutanées. Un crapaud commun menacé par une couleuvre pourra se gonfler, se soulever, voire se pencher vers l’assaillant, se faisant ainsi « plus gros que le boeuf », et exsuder du venin ! Ces sécrétions sont sans effet sur un serpent, mais peuvent irriter très fortement les muqueuses buccales d’un chien, qui relâchera sa proie et s’en rappellera à jamais s’il en survit. Un autre crapaud, américain, le crapaud buffle, souffle bruyamment, tout en montrant ses glandes parotoïdes.
Attaquée frontalement, la salamandre américaine Ambystoma gracile se courbe et expose elle aussi sa glande à venin. L’objectif est d’avertir de sa dangerosité. Les couleurs vives suggèrent de grandes quantités de venin toxique. Mais il arrive également que des espèces faiblement toxiques miment les espèces dangereuses en copiant leurs signaux avertisseurs…
Visuel haut de page : Larve de triton dévorée par un dytique adulte, surnommé « le tigre des eaux douces ». © Stéphane Vitzthum
Source : Les amphibiens à la loupe d’Alain Morand, paru aux éditions Quæ