Au cours de leur évolution, les anciens organes des sens jadis adaptés à un environnement terrestre ont dû s’orienter vers une vie amphibie puis une vie subaquatique. Si certains organes sensoriels devenus inutiles dans le milieu liquide ont été réduits à leur plus simple expression, d’autres ont subi une évolution fulgurante.
On a longtemps pensé que [le goût] était complètement atrophié chez les cétacés, étant donné que ces mammifères ne mâchent pas mais avalent entièrement leur nourriture. Cependant, en étudiant l’anatomie de leur langue, on constate la présence de papilles gustatives à la base, notamment chez les odontocètes (grand dauphin, marsouin commun, dauphin commun). En étudiant les 7e et 9e paires de nerfs crâniens et la zone de l’hypothalamus liée à la perception du goût, on est de plus incité à penser que le sens du goût est aussi développé chez les cétacés que chez les autres mammifères. Des recherches faites sur des grands dauphins captifs nous ont même montré une sensibilité dix fois supérieure aux humains pour ce qui est des sensations « acide » (acide citrique) et « salée » (chlorure de sodium). Par contre, leur sensibilité au « sucré » serait dix fois moindre. Pourquoi cette sensibilité particulière ? Doivent-ils évaluer le degré de salinité de l’eau ou identifier le passage d’un congénère (urine, fèces) dans l’élément liquide ? On s’est d’ailleurs aperçu que les dauphins sont sensibles à certaines substances chimiques. En effet, les delphinidés captifs n’acceptent pas n’importe quelle nourriture. S’agirait-il d’une certaine faculté de discrimination gustative, voire d’une ébauche de l’art de la dégustation ?
Nous possédons peu de données sur le goût chez les siréniens. Leur langue est peu mobile, pourvue de papilles gustatives, avec une extrémité cornée. Elle servirait (notamment chez les lamantins) à sélectionner les aliments et à reconnaître d’autres individus en « goûtant » ce à quoi ils se sont frottés. Chez le dugong, les papilles gustatives sont disposées dans une rangée de fosses sur le bord de la langue, ce qui est également le cas chez les lamantins. Mais en dépit de ces informations lacunaires, il est certain que ces mammifères aquatiques goûtent les végétaux avant de les manger.
Les pinnipèdes possèdent également des papilles gustatives. D’après des recherches effectuées sur les lions de mer de Steller en captivité, ils sont sensibles à l’« acide » (au même niveau que les humains), extrêmement sensibles à l’« amer » et 20 fois plus sensibles que nous au « salé ». Par contre, on ne constate aucune sensibilité chez les phoques et les otaries au « sucré ». Quant à l’ours blanc et aux loutres de mer, nous n’avons malheureusement aucune donnée sur leur perception gustative.
Visuel haut de page : La langue des cétacés, surtout celle des odontocètes (ici, l’orque), présente des papilles gustatives. Moins nombreux que chez les humains, ces organes ont cependant un rôle non négligeable chez ces mammifères marins. © Jean-Pierre Sylvestre