Jusqu’aux années 1970, le pigeon faisait figure de tête d’affiche, représentant ce que nous pensions savoir de l’intelligence aviaire.
On louait ses capacités d’apprentissage, en raison de capacités à discriminer divers stimuli bien souvent supérieures aux nôtres. En même temps, on le considérait aussi comme un benêt sans cervelle, menant une pauvre existence à picorer dans nos parcs et nos rues. Heureusement, des études approfondies menées non seulement sur les pigeons mais aussi une large variété d’oiseaux, comprenant perroquets, corbeaux et autres oiseaux chanteurs, ont révélé que certaines espèces mériteraient d’être revalorisées et même d’être considérées comme des « singes à plumes ». Cette expression fut lancée en 2004 pour refléter le fait que certains membres de la famille des corvidés montrent des capacités cognitives à la hauteur des grands singes.
Corbeaux et singes sont séparés par plus de 300 millions d’années d’évolution. Presque aucune des espèces proches apparues entre-temps — reptiles, la plupart des autres oiseaux, voire les mammifères — ne possède les mêmes capacités cognitives, ce qui suggère que tout point commun entre corbeaux et oiseaux est survenu à la faveur de convergences évolutives. […]
Un cerveau plus intelligent
Pourquoi « singes à plumes » ? L’expression suggère que les oiseaux possèdent le même esprit que les singes, mais dans les limites d’un cerveau structuré différemment. Les esprits des corbeaux et des singes sont-ils identiques, et comment le savoir ? Les tailles relatives des cerveaux de ces deux groupes sont similaires, ce qui fait qu’en termes de taille corporelle globale, ils ont des cerveaux plus gros que l’on pourrait le penser. Une habileté qui pourrait les faire entrer dans le Club des futés est la forme de flexibilité de leur pensée qu’ils peuvent appliquer en dehors du contexte où elle s’est développée. Certains oiseaux n’utilisent pas d’outils, mais cela ne les empêche pas de comprendre leurs mécanismes. Hélas, les études cognitives comparant des espèces largement différentes n’en sont toujours qu’à leurs balbutiements et les outils qui nous permettraient de le faire, sans en déprécier certaines sur des critères de perception ou de manipulation des objets, ne sont pas encore au point. Il est relativement plus sûr de comparer singes et corvidés car tous deux ont des capacités visuelles bien développées et peuvent manipuler toute une variété d’objets. En effet, les corbeaux ne sont pas désavantagés contrairement à ce que l’on pourrait penser, avec leur seul bec et leur absence de mains. Ma femme et moi l’avons expérimenté directement lorsqu’un jeune corbeau freux apprivoisé a dévissé rapidement une noix fixée par un boulon, pourtant serré à la clé par un humain !
Un corbeau calédonien s’est fait un outil à partir d’un bâtonnet et s’en sert pour sonder un tronc à la recherche de larves. La larve dérangée va agripper l’extrémité du bâtonnet et le corbeau n’aura plus qu’à l’extraire pour s’en régaler. – © Dr Jolyon Troscianko
L’objectif n’est pas de mettre en concurrence des espèces — ce ne sont pas là des Jeux olympiques de l’intelligence — mais plutôt de découvrir la forme que prennent l’apprentissage et la cognition à travers des expériences rigoureusement menées, afin de voir en quoi des espèces diffèrent, se ressemblent, et comment cela peut être mis sur le compte de différences dans la structure du cerveau.
Visuel haut de page : La plus grande partie de ce que nous savons sur l’esprit et le cerveau aviaires vient de l’étude des pigeons : hélas, ils ne sont pas considérés comme les plus intelligents des animaux, tant pis pour les autres ! – Shutterstock
Source : L’étonnante intelligence des oiseaux de Nathan Emery (Traduction de Mickaël Legrand), paru aux éditions Quæ
