Tout à fait ! Les bactéries possèdent, selon les espèces, une manière de communiquer propre à elles, qui s’adapte selon les situations.
Les bactéries, a priori, ne disposent pas d’organe de communication. Même pourchassées par des protozoaires voraces, « dans l’espace microscopique, personne ne les entendra crier ». Pourtant, l’échange de signaux d’alerte ou de coordination constitue un réel avantage stratégique et permet l’action concertée d’un groupe d’individus, beaucoup plus efficace que celle d’individus isolés.
Toutefois, les bactéries n’utilisent pas l’Internet haut débit pour communiquer. Le tweet bactérien est moléculaire. Ce phénomène a été mis en évidence dans les années 1980 par des biologistes américains s’intéressant à une bactérie marine : Aliivibrio fisheri. Celle-ci se singularise en produisant de la lumière, mais uniquement de nuit et après s’être abondamment multipliée dans les organes luminescents de certains poissons et calamars. À l’état libre, dispersée dans l’eau de mer, elle n’émet aucune fluorescence. Le signal lumineux produit par une bactérie isolée serait trop faible pour être détecté et consommerait de l’énergie en pure perte. Pour communiquer avec ses consoeurs, A. fisheri diffuse en continu une molécule qui induit au-delà d’une certaine concentration l’allumage du fanal bactérien. Ce seuil est franchi lorsque la densité de population est importante. La nuit, elle dépasse les 100 milliards de bactéries par centimètre cube dans l’organe luminescent du calamar. Au matin, celui-ci expulsera plus de 95 % de ces bactéries, éteignant ainsi sa lanterne. Les bactéries se multiplieront de nouveau dans la journée jusqu’à atteindre le seuil critique la nuit venue. Le calamar régule ainsi sa production de lumière.
Ce mécanisme de communication bactérien est connu sous le nom de quorum sensing, que l’on pourrait traduire par « détection du nombre critique d’individus ». Il est largement répandu chez les bactéries et leur permet de déclencher une action, coûteuse en énergie, uniquement si un effectif suffisant est atteint pour que cette action puisse être efficace. Pseudomonas aureofaciens utilise elle aussi les mécanismes de quorum sensing afin de coloniser un nouvel environnement. Lorsqu’elle dépasse un effectif seuil, elle produit un antibiotique éliminant les autres micro-organismes autour d’elle, accroissant ainsi sa compétitivité.
Une autre espèce encore, Pseudomonas aeruginosa, est une bactérie très commune des eaux et des sols. Opportuniste, elle peut devenir dangereuse chez des sujets affaiblis, humains comme animaux. La bactérie va d’abord se développer de manière silencieuse, à l’état dispersé, chez le sujet qu’elle aura contaminé. Puis lorsque ses effectifs auront dépassé un seuil critique, les mécanismes de quorum sensing déclencheront son agrégation en biofilm, la rendant particulièrement résistante aux traitements antibiotiques et antiseptiques. Elle devient alors pathogène.
Les bactéries à Gram positif utilisent comme molécules signal de petites protéines appelées peptides qui sont propres à chaque espèce comme autant de clés différentes (alors que celles à Gram négatif utilisent un signal commun à tous les micro-organismes de ce groupe — voir la question 37 au sujet des Gram positifs et négatifs). Cette molécule pourrait être comparée à un ensemble de clés qui posséderaient toutes la même extrémité actionnant le pêne d’une serrure, mais aux tiges de longueurs différentes selon les espèces. Une tige trop courte rendra ainsi la clé inopérante chez une autre bactérie, même si elle possède le même mécanisme d’ouverture. Des voies prometteuses de lutte contre ces germes tendent à brouiller leur communication en coupant la « clé » entre la « tige » et l’extrémité actionnant le pêne. Ce dernier isolé devient incapable de déverrouiller la serrure.
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