La notion d’espèce est intimement liée à la capacité reproductive des individus.
Depuis la définition introduite par le biologiste allemand Ernst Mayr en 1942, on considère qu’une espèce est une population dont les individus peuvent se reproduire entre eux et engendrer des descendants viables et féconds. Autrement dit, deux espèces sont distinctes à partir du moment où les individus qui les composent ne peuvent se reproduire entre eux de manière durable.
C’est le cas par exemple du cheval et de l’âne : si la mule ou le mulet sont issus du croisement d’un âne et d’une jument, ces individus restent stériles (de très rares cas de croisement entre mule et mulet ont cependant pu être observés). Le bardot (croisement du cheval et de l’ânesse) l’est également.
Si cette définition semble a priori assez nette, il existe cependant un certain nombre de cas où cette frontière est floue. Ainsi, des cas d’accouplements « spontanés » peuvent se produire en milieu naturel et donner des descendants féconds. Chez les cervidés par exemple, deux espèces aussi différentes que le cerf élaphe (Cervus elaphus, le cerf commun de nos forêts) et le cerf sika (Cervus nippon), une espèce originaire d’Asie mais introduite en Europe de l’Ouest, peuvent s’accoupler et donner naissance à des individus hybrides fertiles. Ce type d’accouplement est donc source d’une pollution génétique non désirée et compliquée à éradiquer compte tenu de la difficulté à distinguer les hybrides et l’espèce élaphe « pure » dans le milieu naturel. Du fait de la différence de taille très marquée entre les deux espèces, on pense que ce sont les jeunes mâles élaphes qui s’accouplent avec des biches sika adultes.
En dehors des processus d’accouplement, il existe d’autres mécanismes conduisant à l’expression d’un comportement sexuel envers un animal d’une espèce différente. Le phénomène d’« empreinte » en fait partie. Ce processus a été étudié en détail chez les oiseaux nidifuges, c’est-à-dire les oiseaux où les jeunes sont suffisamment matures et autonomes à la naissance pour quitter rapidement le nid après l’éclosion. Ainsi dans ces espèces (oies, canards…), les jeunes présentent un processus d’attachement rapide (en quelques heures) et irréversible à l’individu présent dans leur champ visuel à l’éclosion. Dès lors, cet individu est considéré comme le parent et les oisillons le suivent dans tous ses déplacements. Une fois adultes, ces animaux continuent à se montrer très familiers avec l’individu avec lequel ils ont développé une relation d’attachement. Dans le cadre de ses études devenues célèbres, Karl Lorenz avait servi lui-même de modèle d’empreinte à des oies et des canards, qui le suivaient fidèlement lors de ses déplacements. C’est également ce phénomène qui est utilisé pour familiariser des oies et ainsi les filmer en vol.
Au-delà de la fonction parentale, le mécanisme d’empreinte remplit en outre une fonction sexuelle. En effet, le jeune fixe également à l’éclosion les caractéristiques des individus de son espèce, ce qui le conduira à s’accoupler à l’âge adulte avec des individus présentant les mêmes caractéristiques.
Cet aspect sexuel a été bien étudié chez les moutons et les chèvres où les phénomènes d’empreinte existent également. Ainsi, des agneaux mâles qui ont été adoptés dès la naissance par des chèvres, une fois devenus des béliers adultes, montrent une préférence claire et stable pour leur espèce d’adoption, c’est-à-dire pour les chèvres, négligeant les brebis. L’inverse étant aussi vrai, lorsque les brebis adoptées préfèrent la compagnie des boucs à celle des béliers.
Visuel haut de page : Faon hybride né de l’accouplement d’un cerf sika avec une biche élaphe. © Matthieu Keller
Très intéressant ! Je me posais la question depuis un moment