Des cinq sens, la vue et l’ouïe jouent clairement un rôle majeur chez les oiseaux. D’un point de vue anatomique, l’œil des oiseaux a plus à voir avec celui des reptiles qu’avec celui des mammifères : il est fixé au crâne par un anneau cartilagineux.
De forme plus plate que le nôtre, l’œil des oiseaux offre paradoxalement une plus grande profondeur de champ : des objets proches comme lointains apparaissent nets simultanément. On considère que leur vision est au moins aussi performante que celle des primates. Leurs yeux sont très développés. Par exemple, ils représentent 15 % de la tête chez l’étourneau. Les yeux des rapaces sont même nettement plus grands proportionnellement que les nôtres. À l’exception des rapaces nocturnes, les yeux des oiseaux sont disposés de chaque côté de la tête, en position latérale, comme les chevaux, plutôt que frontale comme chez l’homme. Cette disposition offre un champ de vision panoramique, ce qui est utile par exemple pour détecter un prédateur à l’approche. Le revers de la médaille est que les oiseaux ont une capacité plus limitée à apprécier les distances : leur vision est essentiellement monoculaire, c’est-à-dire que les images de chacun de leurs yeux se recoupent peu. Or, les distances ne peuvent être correctement estimées que pour des objets situés dans la portion du champ visuel commune aux deux yeux (stéréoscopie). Les rapaces nocturnes ont quant à eux les yeux en position frontale comme nous : la stéréoscopie leur permet de déterminer précisément la position de leur proie lorsqu’ils fondent dessus. Les autres espèces doivent donc compenser leur handicap par des mouvements de la tête en direction de l’objet.
L’aigle royal est un chasseur redoutable, capable de tuer de jeunes chamois. Il ne dédaigne pas non plus les carcasses, quand les proies se font rares et plus difficiles à débusquer. © Geoffrey Garcel
Comme chez tous les vertébrés, la rétine des oiseaux dispose de deux types de cellules réceptrices. Les cônes permettent de déterminer les couleurs mais uniquement lorsque la luminosité est suffisamment importante. Dans la pénombre, ces cônes deviennent inopérants, ce sont alors les bâtonnets, plus sensibles à la lumière, qui prennent le relais. Cependant, les bâtonnets ne permettent pas de distinguer les couleurs : ce sont eux qui nous font dire que, la nuit, tous les chats sont gris. La densité des cellules rétiniennes chez les oiseaux est supérieure à celle de la majorité des mammifères. La rétine des rapaces nocturnes dispose de l’ordre du million de bâtonnets par millimètre carré, ces cellules particulièrement sensibles aux faibles lumières, soit quatre fois plus que l’œil humain.
Le tapetum lucidum est une autre adaptation anatomique de ces chasseurs de la nuit : cette couche située derrière la rétine réfléchit la lumière et agit à la manière d’un amplificateur. En outre, les oiseaux, surtout les espèces diurnes, disposent de quatre types de cônes photorécepteurs sensibles à des longueurs d’onde différentes, là où l’œil humain n’en dispose que de trois types : ils peuvent notamment voir dans les ultraviolets, une faculté qu’ils utilisent pour se reconnaître entre eux ou encore, chez les faucons, pour suivre la trace des rongeurs dans la végétation. En effet, la majorité des rongeurs marquent leur territoire avec leur urine ou leurs fèces, lesquelles absorbent les rayons ultraviolets. Outre ces adaptations anatomiques, l’acuité visuelle des oiseaux repose aussi sur l’existence de lobes optiques de très grosse taille dans le cerveau, capables de traiter l’information nerveuse en provenance des globes oculaires probablement plus finement que chez les mammifères.
Le rouge-gorge repère les petits insectes dont il se nourrit même dans la pénombre. Cette capacité visuelle explique certainement pourquoi il est l’un de nos chanteurs les plus matinaux. © Adobe Stock / creativenature.nl
Mais le plus incroyable en ce qui concerne les yeux des oiseaux est peut-être encore ailleurs : ils leur permettraient de voir la lumière polarisée et, plus fort encore, le champ magnétique terrestre ! Cela fait longtemps que l’on sait que le champ magnétique terrestre intervient dans l’orientation des oiseaux migrateurs. La présence de cristaux d’oxyde de fer dans leur bec semblait pouvoir fournir une explication à cette capacité étonnante mais des expériences avaient permis de rejeter cette hypothèse. Ce sont des recherches récentes sur des protéines de l’œil qui relancent le débat. Plus précisément, les chercheurs se sont intéressés à des protéines photoréceptrices sensibles à la lumière bleue, appelées cryptochromes. Ces protéines présentes dans tout le règne animal et végétal sont sensibles au champ terrestre et sont impliquées dans la régulation des rythmes circadiens (alternance jour/nuit). L’une de ces protéines (Cry4), dont la concentration est maximale dans la zone centrale de la rétine, se présente comme une bonne candidate pour expliquer la magnétoréception : les oiseaux verraient ainsi littéralement le champ magnétique ! Des chercheurs supposent que cette information s’ajouterait au spectre visible (donc à une image telle que notre œil la perçoit) à la façon d’un filtre dont l’opacité varierait en fonction de l’intensité du champ magnétique.
Visuel haut de page : © Adobe Stock / Martin
Source : Oiseaux, sentinelles de la nature de Frédéric Archaux, paru aux éditions Quæ