Les conséquences directes du réchauffement climatique sur les organismes commencent à être assez bien connues mais on en sait beaucoup moins sur les effets de ces changements sur les interactions entre espèces, notamment sur les relations entre les prédateurs et leurs proies.
En voici un exemple : les effectifs d’une population allemande de buse variable ont considérablement augmenté au cours des vingt dernières au point d’être multipliés par quatre. Cette augmentation spectaculaire coïncida avec celle de la survie de l’oiseau, ce paramètre démographique étant connu pour avoir davantage d’effet sur la démographie des espèces longévives que la fécondité. La survie des buses adultes passa de 0,63 à 0,74 chez les femelles et de 0,61 à 0,80 chez les mâles. Or, chose surprenante, ces changements de survie furent associés à une diminution considérable des valeurs de l’oscillation de l’Atlantique Nord (NAO ; températures plus froides, moins de pluie mais plus de neige). Bien que la relation entre la variation de la NAO et la survie des buses ne dise rien des mécanismes en jeu car corrélation ne veut pas dire causalité, ces variations furent confirmées à de plus vastes échelles d’espace : quand la NAO décroît, la survie des buses augmente et vice versa. Le mécanisme impliqué est donc d’une manière ou d’une autre lié à ces facteurs climatiques. On finit par le découvrir : la proie principale des buses, surtout en hiver, est le campagnol des champs dont les populations sont sensibles au climat. Alors que la pluie et le gel sont très défavorables à ces petits mammifères, un couvert de neige les protège tout en permettant aux prédateurs de les détecter et de les capturer si le manteau neigeux n’est pas trop épais. Une petite couche de neige est donc très favorable aux campagnols et, par conséquent, à leurs prédateurs. Le fait que la survie soit meilleure pour les mâles que pour les femelles est sans doute lié à un meilleur accès des premiers aux campagnols parce que leur plus petite taille les rend plus agiles pour capturer leurs proies. Les rapports étroits que l’on observe entre la variation géographique de survie des buses et celles des conditions climatiques ambiantes est une belle démonstration de l’interdépendance des différents niveaux de variation, celui du climat, celui des campagnols et celui de leurs prédateurs dont la variation s’exprime par les différences de taille des sexes. La morale de l’histoire est que ce qui fait le bonheur des uns fait le malheur des autres !
Visuel haut de page : © Jonathan Lhoir / www.jonathanlhoir.com
Source : Oiseaux et changement global de Jacques Blondel, avec le photographe Jonathan Lhoir , paru aux éditions Quæ