Les perturbateurs endocriniens sont omniprésents dans notre environnement. Ils s’invitent jusque dans notre salle de bain par le biais de produits cosmétiques d’hygiène et de beauté.
La peau n’étant pas une barrière infranchissable, leur mode de contamination est essentiellement cutané, mais peut être aussi respiratoire (pour les substances volatiles) ou par ingestion (dans le cas des rouges à lèvres par exemple). Une attention particulière doit être portée à la peau très fine des bébés et aux peaux allergiques, irritées, qui laissent davantage passer dans l’organisme les substances chimiques contenues dans les produits d’hygiène et de beauté.
Les principaux perturbateurs endocriniens présents dans ce type de produits sont des conservateurs (parabènes, triclosan), certains filtres solaires (benzophénone et dérivés). On trouve aussi dans les cosmétiques des phtalates, du bisphénol A, des éthers de glycol (tensio-actifs) ou des muscs xylène et cétone, qui sont des composés parfumants.
La grande famille des parabènes
La famille des parabènes (contraction de PARAoxyBENzoates) regroupe de nombreuses substances. Les plus utilisés sont le méthylparabène (MP), l’éthylparabène (EP), le propylparabène (PP) et le butylparabène (BP). Grâce à leurs propriétés bactéricides et fongicides, les parabènes sont des conservateurs et ils sont susceptibles d’entrer dans la composition d’une majorité de produits d’hygiène et de beauté tels que savons, gels douche, mousses à raser, shampoings, déodorants, dentifrices, bains de bouche, crèmes pour le visage et pour le corps et produits de maquillage. Ils peuvent également être présents dans des médicaments ou dans des aliments (confitures, pâtisseries, conserves). Par exemple, les additifs E214, E216 et E218 désignent respectivement l’éthyl, le propyl et le méthylparabène.
La population est largement exposée aux parabènes. Les femmes, plus grandes consommatrices de cosmétiques, ont des taux plus élevés que les hommes. On peut les retrouver dans l’urine. Toutefois les choses commencent à changer. Les industriels ont compris que l’indication « sans parabènes » pouvait être un bon argument de vente. La réglementation a elle aussi évolué. Depuis 2015, la Commission européenne n’autorise plus le propylparabène et le butylparabène dans les cosmétiques destinés aux enfants de moins de 3 ans ; leur teneur est réduite dans ceux à usage des adultes. Déjà en 2014, elle avait estimé qu’on manquait de données sur la toxicité de cinq parabènes (les esters d’isopropyle, d’isobutyle, de phényle, de benzyle et de pentyle parabènes) et avait décidé leur interdiction.
Filtres solaires, un bénéfice à double tranchant
L’été, vous devez vous protéger du soleil. Ne pas s’exposer aux heures les plus chaudes et porter vêtements longs, chapeau et lunettes est la recette la plus efficace pour éviter les risques sanitaires. Les crèmes solaires ont aussi leur utilité. Grâce aux filtres ultra-violets qu’elles contiennent, elles nous protègent (partiellement) du vieillissement cutané et des risques de cancer cutané. Retenez qu’il existe deux sortes de filtres solaires : les filtres organiques qui absorbent les rayons UV, et les filtres minéraux (comme les oxydes de zinc et de titane, souvent sous forme de nanoparticules) qui réfléchissent la lumière, et qui correspondent aux crèmes très blanches qui restent en couche sur la peau, y faisant comme un écran. Or parmi les filtres organiques, certains sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens. Il s’agit du 3-benzylidène camphre (3-BC), du 4-méthylbenzylidène camphre (4-MBC), des benzophénones (par exemple la benzophénone-3) et de l’octylméthoxycinnamate (OMC). Ces filtres UV organiques peuvent même se retrouver là où on ne les attend pas, par exemple dans la composition de produits alimentaires, pour en retarder la décoloration.
Le 3-BC n’est plus autorisé comme filtre UV dans les produits cosmétiques depuis 2011. L’innocuité du 4-MBC fait l’objet de discussions et ce filtre reste utilisé sans dépasser 4 % (directive Cosmétique). En France, l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (l’ANSM) estime que la benzophénone-3 ne devrait pas être utilisée comme filtre UV chez les enfants de moins de 10 ans et ne pas dépasser la concentration maximale de 6 % dans les produits solaires destinés aux adultes. Mais pour l’heure, la directive Cosmétique européenne continue de l’autoriser jusqu’à 10 %. Pour la protection des femmes enceintes, des jeunes enfants et des peaux lésées, mieux vaut éviter ces filtres organiques et leur préférer les protections naturelles (habits couvrants, casquettes, chapeaux).
Le maquillage, la beauté du diable ?
Se maquiller est un rituel quotidien incontournable pour bien des personnes. Rouge à lèvres, vernis à ongles sont des produits très utilisés. En partant du principe qu’une femme se colore les lèvres 2,4 fois par jour, une équipe de chercheurs a calculé qu’elle ingère quotidiennement 24 mg de rouge à lèvres ; chez les addicts, ce taux s’élève à 87 mg par jour1. Or la plupart des rouges à lèvres contiennent des métaux lourds (plomb, chrome, aluminium, cadmium ou manganèse), des colorants, des parfums, dont certains sont des perturbateurs endocriniens.
La situation n’est pas plus rose concernant les rouges à ongles. En juin 2012, un rapport du Rapex (système d’alerte rapide pour les produits dangereux non alimentaires de la Commission européenne) a pointé du doigt certains vernis à ongles à la composition douteuse. Il s’agirait essentiellement de ceux vendus sur les marchés, les braderies ou encore les solderies ; ils contiendraient certains des phtalates interdits en Europe. On retrouve également d’autres agents chimiques, toxiques ou perturbateurs endocriniens suspectés, comme du triphényl phosphate (un phénol), du formaldéhyde ou du toluène.
Or, comme la peau, l’ongle ne constitue pas une barrière infranchissable. Il laisse passer dans le sang certains composants du vernis. Mais surtout ces rouges à ongles renferment des composés volatils qui risquent d’être inhalés lors de leur manipulation. Pour une utilisation normale, il n’y aurait pas lieu de s’inquiéter. En revanche les professionnels (manucures, prothésistes ongulaires) sont beaucoup plus exposés aux solvants et perturbateurs endocriniens susceptibles d’être présents dans les vernis. Situation à éviter, notamment chez les femmes enceintes.
1 Liu et al., 2013.
Source : Les perturbateurs endocriniens de Denise Caro et Rémy Slama (Préface de Michel Cymes), paru aux éditions Quæ