Quel est le point commun entre un frelon asiatique, un raton-laveur ou encore l’herbe de la pampa ? Ce sont tous trois des espèces invasives ! Si certaines défraient la chronique, d’autres semblent mieux perçues par le public. D’autres encore, comme l’ours et le sanglier, ne sont pas invasives, contrairement aux idées reçues.
Des invasions éclatantes, d’autres très discrètes
Impossible, ces dernières années, d’échapper à la saga du frelon asiatique. Cette guêpe sociale, qui construit un gros nid de papier souvent haut perché dans les arbres, s’est répandue depuis une quinzaine d’années dans toute l’Europe de l’Ouest. Les experts du
Muséum ont calculé que, depuis son introduction en France dans le Lot-et-Garonne, probablement un peu avant 2004, le frelon a progressé d’environ 60 km par an. Aujourd’hui, seuls dix départements de l’est de la France ne sont pas touchés. L’espèce a aussi abordé les pays voisins : on note son arrivée en 2010 en Espagne, en 2011 au Portugal, en 2012 en Italie, en 2014 en Allemagne, en 2016 en Belgique (après une première tentative avortée) et en Angleterre.
Les nids du frelon asiatique qui sont dans les arbres ne passent pas inaperçus après la chute des feuilles. Le public et les médias ont été sensibilisés à la présence de cet insecte par les apiculteurs, qui redoutent son impact sur les ruches. En effet, pour nourrir ses larves, le frelon asiatique attrape les butineuses qui rentrent à la colonie. Un seul nid pouvant abriter jusqu’à 50 000 frelons, une ruche peut être rapidement dépeuplée. Enfin, bien qu’il ne soit pas spécialement agressif, le frelon asiatique peut infliger des piqûres douloureuses. Quelques cas de décès pour cause d’allergie au venin d’hyménoptères sont signalés chaque année.
Date d’introduction connue, expansion visible, rapide et généralisée, impact visible sur les ruches, inquiétude de la population quand sa présence proche est détectée : le frelon asiatique est un cas d’école dans le microcosme des espèces exotiques envahissantes. Mais d’autres sont bien plus discrètes. Savez-vous par exemple que la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique hébergent des populations de raton-laveur ? Ce sympathique animal nord-américain au masque noir et à la queue annelée a servi de mascotte aux troupes américaines stationnées en Europe après la Seconde Guerre mondiale.
Des invasifs bien perçus
Contrairement au frelon asiatique, le raton-laveur n’effraie personne. Il est même très apprécié du public, en particulier des enfants. N’est-il pas la vedette animale du dessin animé Pocahontas ? Seuls les gestionnaires des espaces naturels ou du gibier peuvent s’en plaindre, à cause de son régime alimentaire. Il consomme en effet des poissons, des amphibiens, des reptiles, des oiseaux, des œufs, des insectes ainsi que des fruits, des graines, des noix. Alors il se répand sans faire de bruit, sans susciter d’articles sensationnels dans la presse.
Autre exemple bien perçu : l’herbe de la pampa. Cette graminée sud-américaine haute de 2 à 3 mètres pousse en touffes denses. Introduite en Europe comme plante ornementale à la fin du XIXe siècle, elle suscite des programmes de sélection de la part des horticulteurs, et diverses variétés hybrides sont mises sur le marché. La grande mode de cette graminée dans les jardins français date des années 1980. Sa prolificité, chaque touffe produisant plusieurs millions de graines, et ses grandes capacités d’adaptation lui ont permis de se répandre dans la nature.
L’herbe de la pampa est aujourd’hui classée sur la liste mondiale des espèces exotiques envahissantes, et on la trouve en Europe, en Amérique du Nord, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande et à Hawaii. Sur le littoral méditerranéen français, ses touffes peuplent les zones humides, notamment la Camargue. Ne posant pas de problèmes particuliers aux usagers de ces milieux, elle ne suscite pas de rejet. Elle est même considérée par beaucoup de gens comme une espèce caractéristique des paysages de marais. L’assimilation à la flore indigène n’est pas loin : voilà une naturalisation en bonne voie de réussir, au sens scientifique comme au sens administratif du terme.
Des invasions qui n’en sont pas
Régulièrement, la télé montre des images amusantes ou impressionnantes de sangliers européens égarés dans une galerie commerciale ou au milieu d’un rond-point… ou encore des ours noirs américains faisant tranquillement les poubelles d’une banlieue paisible. Bien qu’elles se révèlent envahissantes au sens commun du terme, ces espèces n’entrent pas dans la catégorie des exotiques envahissantes.
Première raison, ce sont des espèces indigènes. Elles n’étendent pas, comme les espèces invasives, leur aire de répartition naturelle. En fait, elles reconquièrent des espaces où elles vivaient autrefois et dont l’homme, en s’y installant, les a chassées. Pourquoi ce retour étonnant ? Dans le cas du sanglier européen, ses populations ont beaucoup augmenté, à cause notamment du croisement avec le cochon domestique (c’est la même espèce) qui a été opéré au XXe siècle pour repeupler des territoires de chasse. Les laies, au lieu de donner naissance à un ou deux marcassins comme dans les populations purement sauvages, se rencontrent souvent suivies de quatre, cinq, huit petits, parfois plus. De plus, les chasseurs les nourrissent pour les fixer dans certains endroits.
La pression humaine ne cesse d’augmenter sur les milieux naturels : la place comme les ressources diminuent. Les ours noirs trouvent plus facile de se nourrir des restes alimentaires mis à la poubelle que de rechercher des glands, des fruits et des baies dans des forêts de plus en plus fragmentées. Soumises à une pression de chasse importante, les populations de sangliers se déplacent. Notez que, en Amérique du Nord, le sanglier est une espèce exotique envahissante, où il entre en compétition avec l’ours noir pour les glands, et qu’il contribue à chasser vers les banlieues et leurs poubelles !
Source : Étonnants envahisseurs de Vincent Albouy, paru aux Éditions Quæ.