De nombreux plongeurs et nageurs disent avoir vu des serpents lors de baignades en mer aux Antilles.
Selon ces rumeurs, certains de ces animaux se laisseraient observer nager, d’autres, au contraire, s’enfouiraient dans le sable, ne laissant dépasser que leur tête pour mordre… Pas de panique, il s’agit juste de poissons. Des poissons au corps long et fin, portant des noms qui leur collent aux écailles : Serpentine ou Serpenton ! Dans la mer des Caraïbes vivent plusieurs espèces de poissons serpentiformes : la Serpentine dorée, ou Anguille-serpent à taches blanches (Myrichthys breviceps), au corps allongé gris, vert, brun à taches blanches ou jaunâtres ; la Serpentine ocellée (Myrichthys ocellatus), beige à points jaunes, blancs ou orange cerclés de noir ; le Serpenton tacheté (Ophichthus ophis), de couleur blanc crème ; et l’Anguille des jardins (Heteroconger longissimus), d’un beige couvert de taches foncées.
Ces poissons sont reconnaissables à leur nageoire dorsale, visible tout le long de leur corps, et à la présence de « narines », petites excroissances au bout du museau servant à détecter et à analyser les odeurs. Comme tous les poissons osseux, ils respirent par deux orifices situés de chaque côté de la tête : les ouïes. Tous ces poissons sont totalement inoffensifs et ne possèdent pas de venin. Enfoncés dans le sable mais laissant dépasser une partie de leur corps, ils chassent, à l’affût, le crabe et tout autre crustacé, mais certainement pas les humains !
Les serpents, eux, n’ont pas de nageoires, pas d’excroissances ni d’ouïes, car leur respiration est pulmonaire. En outre, leurs écailles épidermiques soudées et cornées présentent une couche de kératine, comme certains poissons fossiles et l’actuel cœlacanthe. De plus, les écailles des poissons osseux possèdent une base formée d’os lamellaire. Enfin, à la différence des poissons, l’extrémité de la queue des serpents marins est aplatie.
Une énigme résolue par la biologie
Les serpents marins, pour la plupart venimeux, appartiennent essentiellement à la famille des Élapidés. Ils sont présents dans les océans Pacifique et Indien, et leur diversité est remarquable en Asie du Sud-Est et en Australie, mais on n’en trouve aucun en Méditerranée et en mer Rouge, ni dans l’océan Atlantique. Comment expliquer leur absence dans ces deux dernières étendues marines ?
Il y a 13 à 15 millions d’années, l’isthme de Panama, qui sépare l’océan Pacifique de l’océan Atlantique, s’est refermé. À cette époque, les serpents n’avaient pas encore colonisé le milieu marin. Cette conquête date d’environ 5 millions d’années, et s’est déroulée sur trois périodes de manière indépendante. Les serpents marins, tous issus d’Asie du Sud-Est et d’Australie, sont restés cantonnés à l’ouest de l’isthme. Ils n’auraient pu passer par le cap Horn ou le détroit de Béring, car ces couloirs sont beaucoup trop froids. Quant au canal de Panama, l’eau s’y avère trop douce pour eux… Côté Amérique, c’est donc impossible. Et en remontant par la mer Rouge pour atteindre la Méditerranée et ainsi l’Atlantique ? C’est le passage de la mer Rouge qui pose problème, son taux de salinité serait beaucoup trop élevé pour les serpents.
Voilà pourquoi les serpents marins sont absents de l’océan Atlantique, de la Méditerranée et de la mer Rouge.
Visuel haut de page : Les Anguilles des jardins (Heteroconger sp.), des poissons serpentiformes totalement inoffensifs qui vivent dans tous les océans. © Françoise Serre-Collet