Le comportement des fourmis passionne les plus curieux : ce sont de petits insectes qui font de leur nombre une force. Lorsqu’une colonie croise la route d’autres insectes sociaux, les fourmis peuvent devenir de véritables guerrières.
La « guerre » des termites et des fourmis
Les termites qui, pour certains, constituent des sociétés très populeuses, représentent une source de nourriture considérable et il n’est pas étonnant que certaines fourmis se soient spécialisées dans leur prédation.
En Afrique subsaharienne, Megaponera analis, appelée aussi la fourmi matabele, en référence à une tribu de guerriers redoutables, est justement une de ces chasseuses de termites. Ses ouvrières, qui effectuent des raids dans les termitières, sont capables d’éliminer les soldats qui obstruent les galeries en dépit de leurs mandibules puissantes. L’ouvrière injecte son venin paralysant directement entre les mandibules du défenseur : en raison d’un effet « noyau d’olive », elles n’auront aucune prise sur l’abdomen glissant de la fourmi. Une fois les soldats éliminés, les autres termites sont aisément capturés, pratiquement « cueillis » par les Megaponera, sans qu’il soit nécessaire de les piquer.
Ainsi, les fourmis représentent la menace la plus importante pour certains termites. Si un fourmilier peut occasionner des dégâts importants à une termitière, des fourmis sont à même de venir à bout d’une société entière. En retour, les termites ne sont pas dépourvus de moyens de défense. Leurs soldats affichent une grande diversité de morphologies pour la tête (parfois même au sein d’une même espèce) qui est sans doute le résultat de la longue coévolution entre les deux grands groupes d’insectes sociaux rampants.
Il existe aussi des scénarios, assez mal connus, où les relations sont plus « pacifiées », avec des nids de fourmis construits à l’intérieur de termitières. Dans certains cas, il se pourrait que la présence des fourmis soit bénéfique aux termites : ils seraient ainsi protégés d’autres espèces de fourmis. Mais les championnes de cette stratégie de défense se rencontrent plutôt chez les guêpes.
Guêpes et fourmis : un bon voisinage ?
Les Polistinae, qui représentent la majorité des guêpes sociales tropicales, sont capables de défendre leur société grâce à leur aiguillon, à des comportements adaptés et en s’appuyant sur l’architecture de leurs guêpiers, qu’il s’agisse d’espèces à petits nids sans enveloppe (et à fondation indépendante) ou avec de plus grands nids qui en sont pourvus (guêpes « essaimantes »). Néanmoins, rares sont les guêpes qui peuvent résister à une incursion de fourmis légionnaires. Or, sous les tropiques américains, celles-ci escaladent régulièrement les arbres à la recherche de proies, et le couvain de guêpes (les adultes peuvent s’échapper par la voie des airs) s’affiche souvent à leur tableau de chasse.
Certaines Polistinae ont trouvé une parade : pour contrer les légionnaires, elles s’allient à d’autres fourmis. Pour les guêpes, il « suffit » alors d’installer le nid sur un arbre défendu par de telles fourmis pour bénéficier de leur protection. Cette stratégie requiert néanmoins que les guêpes soient capables de contenir leurs protectrices, elles-mêmes dangereuses. Pour cela, les guêpes ont un avantage, elles savent voler et peuvent aller et venir de leur guêpier sans passer par le territoire des fourmis, condamnées à ramper. De même, une fondatrice et encore plus aisément un essaim peuvent sécuriser une « tête de pont » leur permettant de construire un nid en toute impunité sur le territoire des fourmis.
Ainsi, on trouve dans les arbres des associations spécifiques guêpiers-nids de fourmis. Par exemple, la guêpe Polybia rejecta, pourtant considérée comme l’une des plus agressives de l’Amérique tropicale (d’où ses noms populaires de « mouche sans raison » en Guyane, d’avispa loca, ou guêpe folle, dans les pays hispanophones) et donc a priori capable de se défendre toute seule, s’installe très souvent à proximité voire au contact direct de nids géants d’Azteca chartifex. Si le guêpier échappe ainsi aux incursions des fourmis du sol, les Azteca sont également bénéficiaires eu égard à la dangerosité des Polybia.
Pour les mêmes raisons, les myrmécophytes abritent souvent des nids de guêpes. Ainsi, dans la péninsule du Yucatan, au Mexique, la guêpe Parachartergus apicalis, connue pour son agressivité, installe préférentiellement ses nids sur des acacias de l’espèce Vachellia collinsii, dont les épines creuses sont habitées par la fourmi Pseudomyrmex peperi, à l’aiguillon également redoutable. Déjà bien armées, les Pseudomyrmex se trouvent dotées, grâce aux guêpes, d’une défense supplémentaire : tout animal qui tenterait de visiter l’acacia le découvre décidément piquant (ce qui n’empêche pas certains oiseaux d’y nidifier en toute impunité, mais c’est une autre histoire). La cohabitation entre les deux espèces d’Hyménoptères sociaux a cependant ses limites. Que des Pseudomyrmex viennent à se promener sur l’enveloppe du guêpier et des Parachartergus interviennent immédiatement pour les en déloger. Les guêpes n’ont pas besoin d’user de leur venin : elles se contentent, tout en volant, d’attraper les intruses et de les lâcher dans le vide !