L’association hôte-microbiote est la règle chez les animaux, notamment les ruminants. Leur panse, ou rumen, est en effet un immense fermenteur de 100 litres dominé par quelque 100 milliards de bactéries par millilitre, avec en plus des archées, des champignons, des ciliés et leurs virus.
Tout en interagissant, les micro-organismes dégradent les végétaux ingérés et permettent l’assimilation des acides gras à travers l’épithélium. Ce que l’on sait moins, c’est qu’une grande partie des bactéries quittent à un moment donné le rumen et passent dans l’intestin où elles sont digérées. Elles constituent une source importante de protéines et d’acides aminés. Autrement dit, la vache se nourrit en consommant son microbiote.
La présence d’un microbiote est vitale également pour la faune des écosystèmes hydrothermaux. Au fond de l’Atlantique vivent des crevettes aveugles (Rimicaris exoculata) entassées par milliers les unes sur les autres. Leur cavité branchiale contient des bactéries autotrophes, c’est-à-dire qui synthétisent leurs propres molécules organiques, à partir des sulfures (H2S), du fer, du méthane et de l’hydrogène contenus dans les fluides qui jaillissent des « fumeurs noirs ». Des scientifiques de Sorbonne Université sur le campus de Jussieu, à Paris, ont montré qu’une partie des molécules synthétisées par les bactéries passent dans les tissus des crevettes et les nourrissent. Sans leur microbiote, les crevettes ne pourraient pas s’adapter à ce milieu.
Les plantes dépendent aussi des bactéries. Elles en possèdent non seulement au niveau des racines, mais également dans la partie aérienne. Certains conifères contiennent dans les aiguilles des espèces fixatrices d’azote qui participent à la nutrition des arbres. D’autres végétaux abritent des bactéries produisant des molécules tensioactives dont le rôle est d’augmenter la répartition de l’eau sur les feuilles et son absorption. « Tensioactives » signifie que ces molécules permettent d’accroître les capacités d’étalement de l’eau en abaissant la tension superficielle. D’autres encore ont un microbiote étonnant. Une équipe espagnole a traité du sureau noir, Sambucus nigra, en vaporisant sur les feuilles et les fleurs un cocktail de trois antibiotiques à large spectre. Les scientifiques ont ensuite étudié les terpènes produits, puis comparé les résultats avec ceux obtenus avec des plantes non traitées.
Les terpènes sont des molécules odorantes, comme le menthol, caractéristique des feuilles de menthe. Ce sont des métabolites secondaires qui interviennent dans la reproduction en attirant les insectes pollinisateurs. Les résultats publiés en 2014 ont montré que le traitement aux antibiotiques avait réduit de deux tiers la quantité de terpènes produits par le sureau. Les terpènes qui manquaient provenaient en majorité non pas de la plante, mais des bactéries présentes en permanence à la surface des feuilles et des fleurs, autrement dit du microbiote. De là à supposer que la pollinisation du sureau, et peut-être d’autres plantes à fleurs, dépendrait en partie du microbiote des fleurs, il n’y a qu’un pas. Peut-être même que le microbiote des fleurs interagit avec celui des insectes pollinisateurs ? Un monde jusque-là insoupçonné s’ouvre à nous.
Visuel haut de page : © John Haslam/Flickr.
Source : Le peuple microbien de Laurent Palka, paru aux éditions Quæ