Vous connaissez un géologue ? Faites donc le test suivant. Demandez-lui quel est, à son avis, le site géologique le plus spectaculaire du globe, toutes disciplines confondues. Après une courte réflexion, il n’est pas impossible qu’il vous lâche le nom d’un petit pays peu connu du grand public : Oman. Mais qu’est-ce que ce lambeau de désert coincé entre les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et le Yémen, oublié par les médias, a donc de si singulier pour être l’un des lieux de pèlerinage préférés des géologues ?
Le sultanat d’Oman possède incontestablement la plus belle ophiolite du monde. Ce terme curieux, qui signifie « pierre de serpent », a été forgé en 1813 par le Français Alexandre Brongniart pour désigner une roche grisâtre, dont l’aspect évoque une peau reptilienne. Ce faciès, produit par l’altération d’une péridotite — roche du manteau à olivine dominante —, est actuellement connu sous le nom de serpentinite. Le terme d’ophiolite est réservé de nos jours à une séquence de roches affleurant sur le continent, mais caractéristique de la succession lithologique de la partie supérieure du manteau et de la croûte océanique.
Il apparaît qu’une grande partie du désert au nord d’Oman est de nature océanique. En effet, l’ophiolite du Sultanat affleure de manière presque continue sur une longueur de 475 kilomètres et une largeur moyenne de 50 kilomètres. Cette croûte océanique est venue « se déposer » sur la péninsule Arabique lors de la fermeture d’un océan à la fin du Crétacé, par un processus dit d’obduction.
L’histoire commence il y a environ 100 millions d’années, alors que les plaques eurasiatique et arabique sont séparées par une dorsale active, située au centre de l’extrémité occidentale de l’ancien océan Téthys. Cette longue chaîne volcanique produit des laves basaltiques en coussins qui, peu à peu, se couvrent de sédiment. Entre 100 et 85 millions d’années, un changement majeur dans la dynamique de cette partie du globe provoque le rapprochement des deux plaques. Le plancher océanique se rompt alors au niveau de la dorsale et la plaque septentrionale se met à chevaucher celle du sud. Ce phénomène s’appelle une obduction. C’est l’inverse de la subduction, plus classique, où l’une des plaques, épaisse et dense, s’enfonce sous l’autre. Le plan de chevauchement se situe à la limite entre le manteau supérieur rigide (lithosphère) et plastique (asthénosphère). La plaque chevauchante se déplace sur des centaines de kilomètres avant de s’échouer sur le continent.
Contrairement à la plupart des ophiolites mondiales, lacérées, dispersées et métamorphisées dans les chaînes de montagne, celle d’Oman n’a pas été déformée par la tectonique. Cela est dû au fait que l’aire océanique qui lui a donné naissance n’est pas encore complètement refermée, ce qui ne devrait pas arriver avant deux millions d’années. Les structures océaniques d’Oman sont donc intactes, simplement « déposées » sur le continent suivant leur géométrie d’origine. En outre, le climat désertique permet une exceptionnelle qualité d’affleurement des roches. Voilà ce qui rend cet objet géologique si remarquable.
Visuel haut de page : Laves basaltiques en coussins de la croûte océanique supérieure – © Françoise Boudier
Source : Terres singulières de Martial Caroff , paru aux éditions Quæ