Les températures plus élevées en ville qu’en campagne attirent certaines espèces d’insectes. Au point que ces dernières en délaissent les espaces boisés ?
Un microclimat privilégié
Les météorologues vous le diront, les températures minimales au coeur des villes sont toujours plus élevées de quelques degrés que celles relevées dans la campagne environnante. Cela s’explique par la conjugaison de plusieurs facteurs indépendants les uns des autres. La masse des bâtiments et des zones bétonnées ou goudronnées représente un formidable accumulateur de calories apportées par les radiations solaires. Elles sont restituées la nuit à l’atmosphère. En hiver, le chauffage des bâtiments dissipe de la chaleur. La densité des constructions et leur hauteur importante freinent le vent et diminuent les pertes de chaleur. Au final, la température du centre de la ville peut être jusqu’à 10 °C plus élevée que celle de la campagne. En banlieue, le phénomène est plus atténué mais reste sensible.
La ville apparaît donc comme un îlot de chaleur dans un environnement plus froid. Il permet à des espèces transportées par l’homme depuis des régions plus chaudes de s’installer dans la durée. Cet îlot peut lui-même connaître des variations selon les endroits. Là où poussent des arbres et des buissons, l’ambiance est plus tempérée. Moins de rayonnement solaire atteint le sol et les murs tandis que l’évapotranspiration du feuillage
rafraîchit l’atmosphère.
Le régime des vents est aussi modifié par l’urbanisation. Les bâtiments et les arbres d’alignement concourent à freiner la vitesse du vent. Il y a un rapport direct entre la réduction de la vitesse moyenne des vents comparée à celle de la campagne environnante et la taille et la densité du tissu urbain. La vitesse du vent est réduite de moitié environ dans le centre-ville, et d’un tiers environ dans la banlieue. Mais dans quelques cas particuliers, notamment les autoroutes et les grandes avenues bien droites et orientées dans la direction des vents dominants, cette vitesse peut être au contraire accélérée. Ces secteurs se transforment alors en véritables barrières pour les insectes volants, les empêchant de passer d’un côté à l’autre.
Un appauvrissement de la périphérie vers le centre ?
La logique voudrait que le centre des villes, densément bâti et éloigné des zones rurales d’alentour, soit moins riche que la banlieue en espèces comme en individus. Moins d’espaces verts, moins de zones de circulation, plus de pression des activités humaines, tout concourt pour justifier cette impression. Les résultats de bon nombre d’inventaires vont dans le même sens.
Par exemple, la faune des carabes de Hambourg a été étudiée sur neuf sites s’étalant du centre-ville densément construit jusqu’aux marges de l’agglomération. 1 994 individus appartenant à 23 espèces différentes ont été capturés, un échantillon statistiquement significatif. Les trois espèces les plus communes, la nébrie à corselet court, le ptérostique à points oblongs et le carabe des jardins, sont bien adaptées aux perturbations d’origine humaine et très fréquentes aussi dans les zones cultivées. Elles représentaient à elles seules respectivement 53,8 %, 17,9 % et 5,2 % des captures. Les 20 autres espèces ne
représentaient donc que 23,1 % des captures. La richesse en individus comme la richesse en espèces décroissaient de la périphérie vers le centre. Le site le plus éloigné, à 19 km du centre, a fourni 16 espèces et 353 individus, alors que le plus proche, à 3,75 km du centre, n’a fourni que 7 espèces pour 100 individus.
Pourtant, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît, comme le prouvent d’autres études, comme celle menée sur la faune des carabes de la ville de Debrecen, dans l’Est de la Hongrie. Des zones boisées depuis au moins 100 ans, dominées par le chêne et couvrant au moins 6 ha, ont été sélectionnées dans et près de cette agglomération de plus de 200 000 habitants. Elles étaient réparties dans la ville (au moins 60 % de la surface construite), dans la banlieue (environ 30 % de la surface construite) et dans la campagne (aucune construction). Les piégeages ont fourni 2 140 individus appartenant à 50 espèces différentes.
Le résultat a été surprenant : une espèce, le ptérostique à points oblongs, déjà rencontrée à Hambourg, représentait à elle seule près de la moitié des prises. Si le nombre d’individus capturés est plus important dans la réserve forestière (1 206), il est équivalent entre la banlieue (457) et la ville (477). Mais si l’on prend en compte le nombre d’espèce, la situation est inversée : 43 espèces différentes en ville, 26 en banlieue et 25 dans la réserve forestière.
La ville de Debrecen serait-elle donc un milieu plus intéressant qu’une réserve forestière pour les carabes ? Cette conclusion qui vient logiquement à l’esprit doit être pondérée par d’autres chiffres. Si l’on ne tient compte que des espèces spécialisées, c’est-à-dire vivant dans la litière des sites forestiers non perturbés, alors elles sont plus nombreuses dans la réserve forestière qu’en banlieue, et en banlieue qu’en ville. La ville apparaît bien comme un refuge intéressant pour les insectes, mais uniquement pour les espèces généralistes, pouvant se satisfaire de conditions de vie variables dans des milieux très perturbés.
Visuel haut de page : La nébrie à corselet court, un des carabes les plus répandus en milieu urbain à Hambourg – © Vincent Albouy
Source : Des insectes en ville de Vincent Albouy, paru aux éditions Quæ